Le maté
On était cinq au cul du cheval. Avant même de commencer le travail le palefrenier s’éclipsa en proposant de préparer le maté. Un apprenti s’occupa de tenir le licol, tout en chassant les mouches avec une toile de jute. Pendant ce temps l’autre apprenti déférait. Quand il commença à parer un postérieur le palefrenier réapparut, la calebasse dans une main et une bouilloire dans l’autre.
Il remplit la calebasse d’eau encore fumante et porta à la bouche la bombilla, cette paille métalique munie d’un filtre pour empêcher l’herbe à maté d’être aspirée. En deux coups elle était vide et il reversa de l’eau pour le maréchal. Celui-ci la termina aussi rapidement avant de la rendre pour refaire le plein. Elle tourna ainsi en repassant systématiquement par les mains du palefrenier.
Après les deux apprentis et un type qui comme moi n’avait rien de mieux à faire que de regarder les autres travailler, ce fut mon tour. Surestimant le volume j’aspirais un grand coup afin de pouvoir moi aussi la vider en deux fois. L’eau brulante dans ma bouche m’empêcha de me rendre compte que le métal de la bombilla conduisait la chaleur et me brulait la lèvre. Il me fallut toutes mes forces pour ne pas broncher. L’attention des autres entièrement portée sur les pieds du cheval leur empêcha de remarquer mes yeux humidifiés par la douleur et mon teint pivoine à cause de la chaleur. C’est sans un mot que je tendis la calebasse vide au palefrenier, évitant son regard.
Le soir même la peau de ma lèvre se détachait, laissant la chair à vif. Depuis je bois du café, même lyophilisé.
5 mai 2008 à 13:35
C’est ce que j’appelle un excellent article de blog. C’est écrit juste comme il faut, on ressent très bien l’ambiance et on se construit mentalement une image en un instant. Sans compte la petite touche d’humour pour finir. Vraiment très bien et il serait d’ailleurs temps que je m’y remette moi-même…
Pour le maté, as-tu depuis observé s’ils ont une technique particulière pour ne pas se brûler ou s’ils ont simplement une lèvre déformée ?
En tout cas, il était impensable que tu quittes l’Argentine sans goûter à ce symbole national (et péché mignon du Che). J’espère que tu as pris une photo et je vais vérifier ça tout de suite.
Bonne route
6 mai 2008 à 15:11
Merci pour les fleurs Sylvain.
C’est vrai qu’il est plus direct que les longs récits précédents, mais il marque aussi le début de l’incohérence temporelle du blog. Je vais essayer de faire plus souvent des petits articles et de ne poster les récits que quand je pourrai envoyer les photos en même temps.
Pour le maté, la technique est simple, il suffit d’aspirer en deux fois et de ne pas garder longtemps la bombilla en bouche. En petite quantité la chaleur de l’eau est soutenable. Et puis le maté est souvent préparé avec une bouteille thermos, donc l’eau n’est pas toujours aussi chaude.
Pour les photos j’en ai juste du cheval, une belle bête de course, mais il va falloir attendre l’article plus long qui y correspond.