Le Quad

Je n’ai jamais apprécié les engins à moteur destinés à parcourir la campagne. Que ce soit à deux ou quatre roues ils m’ont toujours parus bruyants et encombrants. C’est pourquoi j’ai toujours préféré me promener à pied ou à cheval. On peut ainsi apprécier les paysages à un rythme adapté pour découvrir un environnement sans le perturber. Et parfois surprendre la faune sauvage dans son intimité ou admirer la flore, les cheveux au vent. Dans mes pérégrinations j’en ai croisé de ces bolides tonitruants et les seuls contre lesquels je ne maugréais pas étaient ceux qui avaient une autre utilité que d’être un loisir prétendument proche de la nature.

C’est justement dans un but utilitaire que je m’apprêtais à aller faire un tour en quad dans la forêt. J’avais remarqué de nombreuses buches, résidus d’anciennes coupes, et je voulais répertorier les lieux propices au ramassage du bois et ceux où il serait possible d’en couper plus tard.

Par précaution je met un casque et je prend mon portable avec moi. Je sais qu’il y a du réseau partout où je compte aller. On n’est jamais trop prudent, d’autant plus que je n’ai pas l’habitude de piloter cette machine mais je la sais dangereuse.

Sur le chemin menant aux premiers arbres je roule prudemment et déjà à faible vitesse le vrombissement du moteur m’est désagréable. On est loin de la sérénité de la marche à pied ou du cheval. Il faut dire que j’en ai une cinquantaine entre les jambes et qu’ils sont fougueux. Je commence par monter doucement sous les pins où un gros tas de buche m’attend depuis quelques années. Je reviendrai peut-être tout à l’heure pour en charger quelques-une mais pour l’heure je continue mon exploration. Une manœuvre pour faire demi tour me confirme toute la rigidité de la direction et je repars vers le second lieu d’abattage. Pour y parvenir il faut franchir un raidillon d’une dizaine de mètre dans lequel je m’engage prudemment avec la même technique qu’à cheval: Debout sur la bête je me penche pour faire porter tout mon poids sur l’avant. L’obstacle est franchi sans problème, me permettant de parcourir une légère pente déjà bien dégarnie de ses arbres. Ici aussi il sera possible de s’approvisionner en bois, même s’il reste surtout du pin et assez peu de chêne.

Il me reste deux zones à visiter, dont un petit cirque que je peux atteindre par une route forestière qui le borde en amont mais dans lequel je ne peux espérer descendre en quad, la pente est trop inclinée et le terrain trop chaotique. Il faudra remonter les buches à la main pour les charger sur la piste. Je pars donc vers une autre parcelle, dont les chênes n’ont pas encore été exploités. Là encore je progresse doucement, me faufilant entre les arbres puisqu’il n’y a pas vraiment de chemin et je répertorie les différents emplacements propices à l’abattage et au chargement du bois. Pour tenter d’accéder à un petit plateau que je sais situé un peu plus haut pour y avoir cueilli maintes fois des champignons, je m’engage sur une pente comparable au raidillon franchit précédemment mais plus longue.  Si l’inclinaison est comparable, la nature du sol est différente. Les roues commencent à patiner sur les cailloux alors qu’elles accrochaient bien sur la terre nue. Je me retrouve à l’arrêt en pleine montée, et le quad commence à déraper lentement vers le bas. La pente m’empêchant de manœuvrer pour rebrousser chemin il me faut aller de l’avant pour me sortir de ce mauvais pas. Et là c’est le drame.

A peine ais-je le temps d’accélérer que j’entend un grand craquement simultané avec une forte douleur dorsale. Le temps de réaliser que le mastodonte de près de trois quintaux s’est retourné sur moi que je me retrouve assis dans la pente, regardant le quad terminer quelques tonneaux avant d’aller se coincer contre un arbre quelques mètres plus bas. Mon premier mouvement contrôlé c’est celui de mes orteils, ils bougent, je les sens et c’est un énorme soulagement. Encore un peu sonné je me relève et redescend vers le quad. L’idée me traverse l’esprit de relever le monstre pour rentrer avec mais dans mon état ce ne serait vraiment pas raisonnable. A part les porte-bagages tordus il n’a pas l’air d’avoir trop souffert. Il n’y a pas de fuite d’essence, je peux donc le laisser là sans risque en emportant les clefs pour que personne n’essaye de remettre le contact. Il ne faudrait pas que des enfants se blessent en voulant jouer avec.

J’enlève le casque dans lequel j’étouffe un peu et décide de le ramener avec moi, en redescendant à petit pas vers la maison. Rapidement les effets de la chute se font sentir, je me sens faible, droit comme un piquet je suis incapable de faire les grandes enjambées qui me permettraient de rentrer rapidement. Je décide d’appeler Emilie, si je m’évanouis il faut quelle sache où je me trouve et le cas échéant amener les secours jusqu’à moi. Je cherche les mots juste pour lui décrire l’urgence de la situation sans trop l’affoler. Le casque se faisant de plus en plus lourd je la rappelle de suite pour lui demander de m’apporter ma ceinture lombaire, celle qui me sert pour les travaux difficiles. Enfin elle me rejoins et me soulage du casque pour la fin du lent trajet jusqu’à la maison. Une fois arrivés je n’ose même pas ouvrir la lourde porte tellement je crains la douleur que provoquerais dans mes reins un tel geste. Il ne me reste plus qu’à m’allonger sur la table et appeler le samu.

Quatorze heures plus tard je suis de retour à la maison, une égratignure sur le bras et une fracture vertébrale. Après réflexion le craquement que j’ai entendu était probablement le choc du casque sur les cailloux. Deux jours après un bleu apparait sur chacun de mes avant-bras.

C’était il y a trois semaines, depuis j’ai un corset qui me permet de me lever sans aucune douleur. Dans deux mois je devrais pouvoir l’enlever et après un peu de rééducation je n’aurai probablement pas de séquelle à long terme. Maintenant je vais bien, je n’ai plus mal et je passe mes journées à me faire dorloter. Ce qui me manque le plus c’est de pouvoir m’assoir.

L’étape suivante aurait été d’acheter d’une tronçonneuse, mais je crois que je vais en rester là.

2 commentaires pour “Le Quad”

  1. mutti dit :

    voila, j’avais laissé sortir de l’esprit l’existence de ce site, et c’était bien comme ça. Aujourd’hui le temps passé a mis la bonne distance pour te lire. Ceux qui connaissent le test des orteils qui bougent comprendront…
    Ouf!

  2. Loll dit :

    Ben mon pov vieux ! Faut pas jouer avec des trucs pareils !
    “Fracture vertébrale” … ca sonne pas jolie, ca fait moche, pas beau … Dans “piqûre”, “égratignure”, “entorse” on peut trouver quelque chose de beau, mais dans “Fracture Vertébrale” y’a rien qui plait. Tiens si on me demandait je le mettrais pas dans le dico.

    Bon courage pour la suite en tout cas !