Le clou

C’était le premier cheval de la journée. Une jument de trait qui ne devait pas faire plus de six cent kilos. J’avais déferré les antérieurs puis tenu les postérieurs à la française pour que le maréchal lui enlève ses deux autres fers. Pendant qu’il parait la jument je commençais à déferrer un autre comtois, un peu plus lourd mais tout aussi calme. Après qu’il eut fait porter les fers et broché les antérieurs à l’anglaise, je suis à nouveau passé sous la jument pour qu’il puisse brocher les postérieurs.

La position n’est pas tellement compliquée à prendre, on soulève le pied du cheval et on l’accompagne avec la cuisse vers l’arrière. Puis on se cale la hanche sous son jarret de manière à avoir son boulet au niveau des cuisses et enfin on relève son pied avec une sangle ou directement à la main. Avec un peu d’habitude le mouvement est fluide et on se retrouve campé sur les jambes, presque assis et légèrement tourné vers l’extérieur dans un équilibre où notre poids compense celui du cheval. Le maréchal peut ainsi nous faire face et travailler sur le pied.

Après le troisième clou ma sangle a commencé à glisser, m’empêchant de relever correctement le pied et laissant à la jument une amplitude pour le bouger. Quand le brochoir s’est abbatu sur la frappe du quatrième clou en bout de course, l’onde de choc s’est répercutée dans le pied de la jument qui en a profité pour essayer de le retirer.

Quand le cheval reprend son membre on se retrouve propulsé sous lui. Il faut réagir vite en ne faisant qu’un avec sa jambe et en relevant son pied autant que possible pour le bloquer en flexion. En effet si le premier coup déstabilise un peu il lui laisse une plus grande amplitude et le second coup sera d’autant plus fort. S’il y a un troisième coup et qu’on essaye de l’encaisser on se retrouve généralement à ramper sous le cheval. Ce qui mis à part le fait de se faire piétiner revient au même que de tout lacher dès le début: Il ne redonnera pas volontier son pied.

J’ai donc réagi par réflexe, mon esprit n’ayant pas le temps d’interposer l’évidence à mon geste. La sangle ne me permettant plus de relever le pied, je l’ai attrapé à pleine main. Toujours par réflexe je l’ai relaché aussitôt, le clou pas encore rabattu m’avait entaillé le pouce et l’annulaire. Le maréchal a terminé de ferrer la jument tout seul, le temps pour moi de recouvrir mes plaies de sparadra. J’en ai profité pour apprendre que les sutures doivent être faites rapidement, ça m’aurait permis une cicatrisation moins lente.

Certains prétendent que c’est le métier qui rentre. Je dirais plutôt que c’est le clou…

4 commentaires pour “Le clou”

  1. Lolo ( de Marjo, Lolo, Lisa et Camille ?) dit :

    On aurait bien aimé qqs dessins pour la partie technique. Je ne suis pas sur d’avoir bien compris les positions …
    Fais quand même gaffe à tes mains, c’est un peu ton outil de travail !

  2. tGomas dit :

    Au vu de mes talents de dessinateur je vais dingo essayer de faire des photos…
    Mais ce ne sera pas avant une ou deux semaines, je suis en cours théoriques en ce moment.
    En attendant voici une courte définition des termes techniques utilisés:

    déferrer: action de retirer le fer du pied cheval
    antérieurs: membres ou pieds avant du cheval
    postérieurs: membres ou pieds arrière du cheval
    parer: action de couper l’excédent de corne du pied du cheval
    travailler à la française: travailler avec un teneur de pied
    travailler à l’anglaise: travailler seul
    porter le fer: action d’appliquer le fer chaud sous le pied du cheval pour faire fondre la corne et mettre en place le fer
    brocher: action de planter les clous dans la corne pour tenir le fer
    jarret: genou d’un membre arrière du cheval
    boulet: articulation en dessous du genou ou du jarret
    brochoir: marteau du maréchal qui lui sert à planter les clous dans la corne
    suture: procédé permettant de maintenir jointes les lèvres d’une plaie afin de faciliter la cicatrisation

  3. Lolo ( de Marjo, Lolo, Lisa et Camille ?) dit :

    Ah ben voilà. Tout de suite c’est plus clair ! N’oublie pas les photos !
    En relisant le texte j’y trouve un petit gout de Leonard & Disciplus Simplex :D

  4. tGomas dit :

    Y’a bien un côté Leonard et Disciplus Simplex.
    Par exemple quand le maréchal te tends les fers alors qu’ils sont encore brulants… Forcément avec la corne qu’il a sur les mains il sent pas la chaleur, mais toi avec tes mains d’informaticien tu te fais de belles brulures.

    Sinon j’ai mis 3 photos en ligne.
    Depuis cette aventure je me suis équipé d’une sangle en cuir avec une boucle que je passe autour du jaret, c’est ce qu’on voit sur la dernière photo.