Le Chimborazo
Lors de notre premier passage à riobamba en février j’avais remarqué une expédition particulièrement alléchante proposée par plusieurs agences de haute montagne: L’ascension du chimborazo. Etant un grand amoureux de la montagne en général et de la randonnée en particulier j’ai toujours considéré l’alpinisme, et par extension l’andinisme, comme étant une version sportive de ce loisir. C’est sûrement pour ça que je ne m’y était jamais essayé, et cette fois encore j’avais laissé passer l’occasion car nous étions pressés de partir vers le sud pour atteindre la patagonie avant l’arrivée de l’hiver.
Mais sachant que nous devions forcément repasser en équateur avant de rentrer j’ai conservé l’idée dans un coin de ma tête, sans aucune certitude de retourner à riobamba même si l’occasion paraissait trop belle pour ne pas en profiter. Nous avions prévu de rentrer à quito deux semaines avant notre vol pour visiter certaines attractions de cette capitale, mais que vaut un téléphérique qui monte à quatre mille mètres face à l’ascension d’un sommet de plus de six mille? Nous avons donc passé la première semaine dans le sud de l’oriente, essayant d’approcher en vain la culture shuar décrite dans le roman de Sepùlveda. La seconde semaine nous sommes montés progressivement jusqu’à quilotoa, minuscule village perché sur le flanc d’un cratère au fond duquel un magnifique lac aux eaux verdâtres reflète les nuages. Les deux jours passés là pour s’acclimater à l’altitude ont eu raison de notre patience puisque le mauvais temps nous a empêché de sortir nous balader dans ce cadre adéquat, et c’est avec plaisir que nous avons rejoint riobamba qui n’est pourtant pas la ville la plus attrayante de l’équateur.
Emilie ayant du mal à supporter l’altitude au delà de quatre mille mètres j’ai quelques scrupules à la laisser seule pour partir m’acclimater encore plus haut, mais selon ses dires quand je parle du chimborazo j’ai le même regard que celui d’un enfant le matin de noël au pied du sapin et ça compense largement ma courte absence. Je prend donc un bus qui me dépose à l’entrée de la réserve mise en place pour protéger les vigognes sauvages qui vivent au pied du chimborazo. J’aperçois au loin le patchwork de cultures recouvrant les montagnes environnantes, il est tellement grand qu’il renvoie le camembert de l’étang de montady surplombé par l’oppidum d’ensérune au simple rang de jeton de trivial pursuit. Un peu au dessus les champs laissent la place aux pâturages, dans des paysages alpins, versant germanique, et à mes pieds la végétation se fait de plus en plus rase, laissant apparaître la roche volcanique qui donne encore une fois l’impression d’être sur la lune. Je dois parcourir huit kilomètres de piste pour rejoindre le premier refuge, mais le sommet dont je me rapproche lentement me permet de m’orienter facilement et de couper dans les lacets un peu trop nombreux à mon goût. Je ressent le manque d’oxygène et mon rythme de respiration augmente incroyablement pour une pente aussi douce, mais je me sent bien et il me faut deux heures vingt pour monter un peu moins de six cent mètres et rejoindre le second refuge, à cinq mille mètres d’altitude. Pour moi c’est une première, je n’étais monté aussi haut qu’à bord d’un 4×4 dans le sud lipez en bolivie, et je suis vraiment content d’avoir pu cette fois monter à pied. Je continue même un peu plus haut, sur une moraine à côté du refuge et je peux admirer devant moi la trace de la voie normale qui se faufile entre le glacier et les barres rocheuses jusqu’à la crête qui continue vers le sommet. Le cimetière entre les deux refuges me donne quelques doutes sur la faisabilité de l’ascension, mais le gardien me redonne confiance en m’expliquant que la grande majorité des accident se produisent pour des groupes non expérimentés partant sans guide.
Quand vient le moment de retourner jusqu’à la route je remarque avec plaisir que dans ce sens je n’ai plus aucun problème de respiration, mais bientôt une forte migraine se fait sentir et je goûte aux désagréments de ce fameux mal des montagnes. Les nausées se concrétisent dans le bus au cours de la descente sur riobamba par la même route sinueuse qu’à l’aller. C’est en piteux état que je rejoins Emilie à l’hôtel, prêt à abandonner sur le champ mes ambitions de sommet et à admettre que mon organisme n’est pas fait pour de telles altitudes.
Le lendemain matin je me sens déjà beaucoup mieux et c’est en prenant le petit déjeuner que nous rencontrons Yaron, un israélien croisé quelques jours plus tôt à baños. Il travaille pour une grande marque de matériel de montagne et profite de ses vacances pour tester des prototypes de duvet, gants et sac à dos. Il compte faire l’ascension du chimborazo et cherche un coéquipier pour partager les frais de guide qui ne sont pas négligeables. En discutant avec lui j’ai un doute sur mon état de la veille, et j’accepte de remonter une fois de plus jusqu’au second refuge et si tout se passe bien de monter encore plus haut le lendemain. Comme il est trop tard pour prendre un bus nous choisissons de nous faire déposer au premier refuge avec des vélos et après avoir fait l’aller retour à pied jusqu’au second refuge nous descendons deux kilomètres de dénivelé à vélo, ce qui nous permet de profiter encore mieux de l’évolution des paysages en fonction de l’altitude. Le bilan de la journée est positif, et je prend note de la règle selon laquelle à cette altitude il faut faire moins d’effort que ce dont on est capable car le mal ne vient qu’après coup. Nous réservons donc un guide pour le lendemain et partons avec Emilie manger une grande assiette de riz et de viande sautés.
La journée suivante commence par l’inventaire du matériel, j’en ai déjà une bonne partie mais l’agence par laquelle nous passons me fournit le reste. Bien entendu dans ma pointure les seules chaussures disponibles ressemblent plus à des chaussures de ski des années quatre vingt qu’à des chaussures de marche. Yaron est très bien équipé et son expérience me rassure un peu sur notre capacité à réussir cette expédition dont j’ignore encore trop de choses, que ce soit sur l’équipement ou ses techniques d’utilisation. Nous rencontrons alors Raoul, notre guide et nous faisons déposer tous les trois au premier refuge où nous prenons notre premier repas à onze heures. Nous montons alors au second refuge et tentons de nous reposer pendant deux heures. Moi je commence à être un peu mal, mais rien à voir avec ce que j’ai vécu l’avant veille. Je soupçonne plutôt une indigestion, genre caca mou et rots à l’oeuf pas très frais. Lors du second repas je me force quand même à manger pour avoir suffisamment d’énergie, et après quelques heures de repos je me sens un peu mieux lorsque nous prenons notre petit déjeuner à dix heures du soir.
Il est déjà onze heure et demi lorsque nous nous mettons en route, après trois autres groupes constitués comme le notre d’un guide et de deux touristes. Raoul n’avait pas l’air pressé de partir, c’était d’ailleurs à notre demande que nous avions prévu de partir à onze heure au lieu de minuit pour avoir le temps de monter au sommet sans se précipiter. La nuit est fraîche, il fait moins huit degrés, et au bout de quelques centaines de mètres nous chaussons les crampons pour progresser sur la neige dure. La respiration est difficile, le rythme lent, et déjà nous croisons quelqu’un qui redescend, il ne se sent pas l’énergie de monter jusqu’en haut et préfère retourner se coucher plutôt que de devoir faire demi-tour à mi-chemin. Nous continuons notre route en empruntant la voie étudiée les jours précédents et au bout d’une heure nous voyons en dessous de nous le dernier groupe quitter le refuge. Nous sommes lents mais réguliers et à deux heures du matin nous atteignons la crête qui doit nous mener jusqu’à notre but. Nous ne sommes montés que de quatre cent cinquante mètres depuis le départ et il nous reste encore le double à grimper. Il est de plus en plus difficile de s’alimenter en oxygène, on ne peut plus vraiment parler de respiration mais plutôt de halètement. On marche les yeux fixés sur nos pieds et pour chaque pas il nous faut remplir quatre fois nos poumons, à une altitude inférieure nous nous serions évanouis d’hyperventilation depuis longtemps. De temps en temps nous faisons une halte, le temps de reprendre notre souffle et d’admirer la vue. Au fond les lumières de la ville de guaranda scintillent comme les étoiles dans le ciel et la lune éclaire les quelques nuages qui parsèment le plateau en dessous de nous comme la neige sur laquelle nous évoluons. Nous profitons d’une de ces pauses pour nous encorder, Raoul en tête, suivi de Yaron et moi derrière. Puis pendant un moment nous éteignons nos lampes frontales et continuons à la lueur de la lune. Malgré les difficultés pour respirer l’effort à fournir n’est pas tellement difficile et c’est un réel plaisir d’être là à ce moment.
Quand nous atteignons le haut de la crête qui vu d’en bas semblait être le sommet nous ne sommes qu’à sept cent mètres au dessus du refuge et nous attaquons au flanc conique du volcan. Yaron lit moins quinze degrés sur son thermomètre mais nous sommes maintenant exposés au vent. Je suis particulièrement bien couvert et c’est surtout dans mes poumons et sur le visage que je ressent le froid. Le manque d’oxygène m’empêche de me couvrir la bouche sans suffoquer et rapidement je ressent le goût ferrugineux caractéristique du sang. Ma salive est encore claire, même pas teintée d’une nuance rosâtre, mais c’est un bon avertissement et j’essaye autant que possible de tourner le dos au vent et de réchauffer l’air entre ma cagoule et ma bouche avant de l’aspirer. Chaque fois que je me retrouve face au vent mes yeux pleurent, de froides larmes, mais les lunettes de soleil sont inutilisables en pleine nuit.
Contrairement à ce que j’aurais cru nous ne profitons pas de la largeur disponible pour faire des lacets mais au contraire nous attaquons la pente presque de face. Il semblerait que ce soit plus facile pour utiliser les crampons en raison de la forte inclinaison. Je trouve surtout que ça nous demande plus d’oxygène et à chaque halte que nous faisons j’ai besoin d’un peu plus de temps pour reprendre mon souffle. Pourtant malgré toutes ces difficultés nous rattrapons lentement les trois groupes qui nous précèdent et nous retrouvons en tête à mon grand étonnement. Entre temps la lune et les étoiles ont disparu derrière les nuages et le faisceau de nos lampes balaye la même pente au dessus et au dessous de nous. Le vent toujours présent m’amène quelques pensées pour la horde et nous continuons inlassablement notre marche de plus en plus lente au fur et à mesure que nous approchons du but.
Par trois fois ma frontale s’éteint, il fait trop froid pour les piles et les deux premières fois j’enlève mes moufles pour l’ouvrir et réchauffer les piles en leur soufflant dessus. Mes sous gants ne sont pas coupe vent et je me retrouve rapidement avec des engelures sur les mains. A la troisième pane Raoul me prête sa frontale, la lune est revenue et il est mieux habitué que moi pour continuer sans lampe. Pendant ce temps un autre groupe nous a redépassé, et j’aperçois sur notre gauche les trois allemands membres d’un club d’alpinisme bavarois qui étaient partis en dernier du refuge. Mais peu m’importe, mes intestins me font à nouveau souffrir et mon esprit est partagé entre la proximité du premier sommet et mon ventre. Devant moi Yaron aussi semble fatiguer, il a besoin de plus en plus de pauses pour reprendre son souffle et son pas perd parfois un peu d’assurance. Juste avant que les premiers rayons de soleil ne fassent leur apparition le groupe qui nous avait dépassé redescend à notre rencontre. Ils ont atteint le premier sommet et n’ayant pas la force de continuer vers le second ils n’ont pas non plus pu attendre le lever du soleil dans le froid sans bouger.
Enfin l’aube commence, et à mesure que la pente devient moins raide nous apercevons en bas les nuages qui recouvrent en partie le plateau. Encore quelques efforts et nous arrivons sur le premier sommet, le veintemilla qui est à une quarantaine de mètres plus bas que le sommet principal, mais de l’autre côté d’une cuvette remplie de neige. A peine arrivés en haut j’ai tout juste le temps de desserrer mon harnais et de baisser mes pantalons en m’éloignant de quelques mètres. Je peux dire sans fausse modestie que j’en ai chié.
En face de nous l’étendue de neige immaculée nous sépare du sommet principal sur lequel nous apercevons les trois bavarois. Cette nuit ce sont les seuls à être partis sans guide et aussi les seuls à être montés aussi haut. En effet Raoul refuse de continuer plus loin, même si nous avons encore le temps nécessaire pour continuer et rentrer avant que le soleil ne réchauffe trop la neige il veut que nous gardions des forces pour la descente. Personnellement j’ai encore quelques réserves mais à cette altitude je peine à reprendre mon souffle à l’arrêt donc je ne vois aucun inconvénient à redescendre plus bas et puis pour la première fois où je grimpe au-dessus de six mille mètres je ne suis pas à une quarantaine de mètres près. Yaron aussi se fait une raison et nous regardons encore la vue pendant quelques instants. L’ombre du volcan dessine un gigantesque triangle sur les nuages et le plateau, trois kilomètres plus bas. On se croirait vraiment perchés sur le toit du monde et c’est un plaisir incroyable, à la fois d’être là pour admirer ce spectacle et d’y être parvenu à la simple force de nos jambes.
Il nous faut un peu plus de deux heures pour redescendre, cette fois l’ordre est inversé, je suis en tête. Nous ne faisons que quelques pauses pour nous reposer un peu, dans ce sens le souffle va un peu mieux mais ce sont les jambes qui encaissent le poids du corps à chaque pas. La vue reste grandiose tout du long et à peu près à mi-chemin les allemands nous redépassent sur notre droite.
Finalement sur les quinze personnes parties dans la nuit seulement trois sont arrivées au sommet principal, nous sommes six à être montés jusqu’au premier sommet, et six autres ont fait demi tour en cours de route. Malgré le vent les conditions étaient idéales pour monter et selon Yaron qui en a vu d’autres c’était une ascension particulièrement difficile. Tout ça fait que je suis particulièrement content d’être arrivé aussi haut sur ce volcan, le plus haut sommet de l’équateur, mais aussi le plus éloigné du centre de la terre en raison du renflement au niveau de l’équateur. Pour ma seule ascension au dessus de trois mille cinq cent mètres je trouve que c’est une belle expérience.
En ce qui concerne l’indigestion Emilie m’a confirmé la thèse de l’intoxication alimentaire quand nous sommes retournés à riobamba, elle aussi a été malade et nous avions mangé le même plat la veille de l’ascension. Une petite purge de l’estomac suivie d’une cure de coca cola ont vite réglé le problème.
Et puis je devrais bientôt retourner dans les pyrénées, le pic long n’a qu’à bien se tenir.
11 novembre 2008 à 12:19
Les sources varient en ce qui concerne l’altitude exacte des deux principaux sommets du chimborazo. Certaines annoncent le sommet whymper à 6310m et le sommet veintemilla à 6267m alors que d’autres les situent respectivement à 6267m et 6224m. Je me plaît à croire que ces dernières mesures ont été effectuées en confondant les deux sommets, ce qui semble plus courant qu’on ne pourrait le croire, et en appliquant la différence de 43m pour obtenir l’altitude du veintemilla. Dans tous les cas la vue est tellement grandiose à cette altitude que ce ne sont pas quelques mètres qui vont changer grand chose.
11 novembre 2008 à 21:42
Ca me rappelle des souvenirs tout ça… En Equateur je m’étais contenté du volcan Imbabura (4600 m), et encore on s’était arrêtés bien avant le sommet : trop de brouillard et pas le matériel pour s’encorder.
Donc je mesure la portée de ce petit exploit et le plaisir qu’on en ressent. Félicitations ! Tu es en AmSud pour combien de temps encore ?
11 novembre 2008 à 23:19
En fait on est rentrés mi-juin, l’ascension a eu lieu début juin. Mais ma nouvelle vie ne me laisse pas trop le temps d’écrire et de trier les photos. A ce rythme là les posts décrivant notre installation en septembre à marseille devraient être publiés à pâques…
11 juillet 2015 à 10:20
Une carte vaut parfois mieux qu’un long discours:
http://www.lib.utexas.edu/maps/topo/ecuador/txu-pclmaps-oclc-869565072-chiborazo-3889-iv.jpg