L’autre chemin pour le machu picchu

La route qui s’éloigne en montant de cuzco nous permet d’avoir une vue d’ensemble sur la ville. Elle semble déborder de la cuvette au fond de laquelle se trouve le centre historique. Les maisons s’élancent à l’assaut des collines environnantes et s’essoufflent petit à petit, se faisant de plus en plus simples et s’éparpillant à l’approche des sommets. Nous suivons quelques temps la voie ferrée mais rapidement le bus bifurque sur une piste et nous parcourons la campagne.

La vie rurale est en effervescence et alors qu’on croise plusieurs groupes d’enfants au retour de l’école, les parents eux sont encore aux champs. Les uns trient des épis de maïs pendant que les autres labourent quelques parcelles avec des charrues en bois tirées par des paires de bœufs. Tandis que les blés dorés ondulants au gré de la brise laissent présager la moisson pour bientôt, les neiges éternelles sur les montagnes les plus hautes rappellent que l’hiver ne devrait plus tarder. Par ci, par là, les lessives bariolées étendues sur leurs fils ajoutent une note colorée à la monotonie des fermes en adobe. Plus nous montons moins la terre est riche et laisse progressivement la place à la roche. Nous avons rejoint une route flambant neuve. Le goudron d’ébène, comme les tonnes de béton des ouvrages de génie civil, contraste fortement avec les quelques masures de pierre qui me rappellent quelques refuges pyrénéens, mais semblent ici être habités par des familles complètes.

Tout à part cette route parait être d’un autre âge. J’ai du mal à comprendre comment on peut essayer de cultiver dans les cailloux, et jusqu’à quatre mille mètres d’altitude, quelques pieds de maïs et ce que je crois reconnaître comme étant des pommes de terre. Mais déjà on arrive au col et de l’autre côté ce ne sont plus que des nuages, éclairés par le soleil couchant, qui s’accrochent à la moindre pente ou flottent dans le vide vertigineux au dessous de nous. Juste avant la nuit, au fond de la vallée le bus fait une halte devant une gargote. Trois gamines se précipitent pour monter et nous vendre de quoi nous désaltérer. Cinq minutes plus tard un nouvel arrêt verra la moitié du bus descendre pour aller pisser. Les femmes profitant de leurs jupes pour ne pas dévoiler leur derrière en s’accroupissant, quitte à éclabousser leurs jupons.

C’est en pleine nuit que nous débarquons dans un minuscule village. Un groupe d’enfants nous accompagne à une pension où nous pourrons manger un morceau et dormir quelques heures. Avant que le soleil ne se lève nous repartons en combi, un genre de minibus avec une galerie sur le toit. Les quatre heures que durent le trajet nous semblent longues, serrés comme des sardines au fond de cette petite boite qui parcours une piste sinueuse taillée au bulldozer dans le flanc de la montagne. Le véhicule est prévu pour transporter douze personnes mais nous atteignons la vingtaine quand un groupe d’écoliers équipés de leurs cartables se joint à nous. Par contre la vue est encore une fois incroyable. Quand le soleil fait son apparition à l’horizon, il dessine une dentition en pointes à contrejour dans les pics pris en étau entre la brume s’élevant du fond de la vallée et la chape de nuages qui nous masque le reste du ciel. Il est huit heures du matin quand nous arrivons enfin à destination et je déclenche l’hilarité générale en me dépliant depuis le fond du minibus.

Nous avons à peine le temps de boire un café que nous repartons à bord d’un autre combi. Cette fois ci j’ai droit à une place à côté du chauffeur, ce qui me permet d’allonger les jambes. La piste toujours aussi cahoteuse suit maintenant le cours de la rivière et nous sommes arrêtés par cinq types à la mine patibulaire. Ils commencent par discuter avec le chauffeur, puis scrutent les passager à l’arrière. La situation n’a rien de rassurante. D’autant plus que celui qui semble être le chef, le seul dont la chemise pourrait ressembler de loin à un uniforme, a un pistolet à la ceinture et deux autres des machettes longues comme mon bras. Même si notre niveau d’espagnol ne nous permet pas de comprendre ce qui se dit à toute vitesse, le ton employé nous fait bien sentir qu’ils ne sont pas là pour rigoler. Ils demandent à deux argentins de descendre. Avant que je n’aie le temps de m’inquiéter pour eux trois types ont déjà sauté dans le combi pour empoigner une petite vieille avec son sac et la traîner dehors. Ce sont des cris, des pleurs et des lamentations de sa part, quelques passagers ont l’air de vouloir prendre sa défense mais n’osent pas bouger. Finalement les types gardent sont sac et la laissent remonter pour que nous puissions repartir. Le minibus redémarre et le silence contraste fortement avec le tapage auquel on vient d’assister. Après quelques centaines de mètres et deux ou trois virages le chauffeur s’arrête pour que tout le monde puisse vérifier l’état de ses bagages. Les argentins en profitent pour nous expliquer ce qui s’est passé: Dans cette région du pérou la consommation de feuilles de coca est tolérée, mais il est interdit d’en transporter en grande quantités, et la petite vieille qui ne payait pas de mine était connue de la patrouille pour faire du trafic. Ils lui ont donc confisqué tout un sac de feuilles mais elle a réussi à en passer trois autres…

La fin de la journée est plus tranquille, à pied le long d’une voie férrée nous faisons une ballade au milieu de la végétation luxuriante pour arriver à aguas caliente, au pied du machu picchu. Nous avons mis douze fois plus longtemps qu’en prenant le train pour arriver à destination, mais économisé plus des trois quart du prix du billet et rencontré huit cent fois moins de touristes.

Un commentaire pour “L’autre chemin pour le machu picchu”

  1. Nelson dit :

    Ca manque juste un tout ptit peu de photos ;)