Le saut du Guanaco

L’herbe était pourtant plus verte de l’autre côté de la clôture. C’est ce qui avait attiré le troupeau. Ca faisait un moment qu’ils paturaient au même endroit. Et avec les moutons qui étaient passés par là, il ne restait plus grand chose pour se nourrir. Alors qu’à côté il y avait de quoi. Non pas une herbe grasse comme il en pousse parfois au bord des ruisseaux. Mais quand même de belles touffes éparses ondulant dans le vent. Ca donnait plus envie que les quelques moignons grignotés jusqu’à raz de terre qui subsistaient encore autour d’eux. Les premiers n’avaient pas hésité longtemps. Prenant quelques mètres d’élan ils étaient passés, un par un. Dans un bond surdimensionné ils avaient franchi le fil tendu entre les piquets. C’est de ces images que l’on fait les cartes postales.

Presque la moitié du troupeau est maintenant de l’autre côté. Le Guanaco hésite un peu. Il cherche un passage plus facile. Un endroit où le barbelé serait un peu moins tendu et les piquets plus enfoncés. Le terrain est légèrement en pente, à son désavantage. Le vent de trois quart ne va pas lui faciliter la tâche non plus. Autour de lui ils sont encore deux de plus à avoir fait le bond. Il faut qu’il se décide. Il tourne encore un peu sur lui même. L’endroit est choisi. Il fixe le fil, recule encore un peu et s’élance. Trois petites foulées l’amènent au pied du mur. L’appui n’est pas des meilleurs. Le sol est trop friable par ici. A l’instant où ses antérieurs décolent, une bourrasque le fauche dans son élan. Sur le point de perdre son équilibre il donne un coup de rein désespéré. Ses postérieurs dérapent légèrement, envoyant voler derrière lui quelques gravillons arrachés à la terre. Le saut est un peu bas, mais le corps est passé par dessus la clôture. Ce sont ses postérieurs qui reviennent trop vite. Les cuisses viennent se planter dans le barbelé, le stoppant dans son vol. Son poids le ramène vers le sol. Les griffes du barbelé lui lacèrent les jambes avant de venir se planter dans sa panse. Là où le poil est ras, le cuir fin et la chair tendre.

Le hurlement de douleur attire l’attention de tout le troupeau. Certains surpris ont un sursaut de panique. Le Guanaco aussi est affolé. Il rue des deux postérieurs pour tenter de leur faire passer la clôture. Mais sans appui il ne réussit qu’à pédaler dans le vide. Chaque mouvement lui déchire un peu plus profondément le ventre. Rapidement il se calme un peu. Le sang lui descend à la tête. Il réussit à se relever sur ses antérieurs. La position est un peu plus naturelle, même si son arrière train est plus haut qu’à l’accoutumée. Ses cris de peur font maintenant place à des gémissements de pleinte. Un autre sort du groupe et s’approche. Dans son impuissance face à la situation il ne peut qu’apporter le réconfort de sa présence. Mais trop vite le troupeau devient indifférent. Il se remet à paitre et s’éloigne petit à petit vers le nord. Une moitié de chaque côté de la clôture. Aucun n’a voulu essayer de la franchir à nouveau ici. Peut être que plus tard ils recommenceront à sauter par dessus. Pour le moment ils sont condamnés à la longer s’ils ne veulent pas se séparer. Le Guanaco se retrouve seul. Suspendu au barbelé il fatigue. Les heures passent. La soif et la faim le tenaillent. Il a brouté les rares herbes à sa portée. Ses antérieurs le portent de plus en plus difficilement.

La nuit approche doucement. Le crépuscule embrase le ciel avant de laisser disparaître les dernières braises au dessus de l’horizon. Et le vent devient glacial. Il souffle toujours aussi fort. Le Guanaco sent le froid l’engourdir un peu plus. Il ne peut pas s’accroupir sur le sol pour protéger son ventre où la laine se fait moins épaisse. Et puis c’est la crampe. Il retombe à nouveau en avant. Les quelques soubressauts de ses antérieurs ne lui permettent plus de se relever. Doucement tout ses sens s’affaiblissent et il n’a plus la force de lutter.

Au petit matin il ne reste plus qu’une couverture de laine étendue au barbelé comme sur un fil à linge. Pas de quoi faire une carte postale.

Un commentaire pour “Le saut du Guanaco”

  1. Pierre dit :

    Into the wild. Sans commentaire.